Le 28 juin 2023, Les ministres de l’Immigration (IRCC), Sean Fraser, et de la Santé, Jean-Yves Duclos, ont dévoilé dans un communiqué de presse de nouvelles mesures ciblant les travailleurs de la santé pour l’immigration permanente par le biais du programme phare Entrée Express. Ce programme invite d’abord 500 professionnels, dont médecins, infirmières et autres, puis une seconde vague de 1500 invitations suivra le 5 juillet.
Ces dispositions ont été rendues possibles grâce aux modifications apportées en Mai 2023 par le ministre Fraser au programme principal d’immigration économique du pays.qui permettent désormais d’organiser des rondes d’invitations sélectives, s’adressant à des candidats issus de secteurs spécifiques ou possédant des compétences particulières, pour postuler à la résidence permanente. Ces mesures, innovantes et essentielles, viennent en réponse à une crise qui secoue le secteur de la santé à l’échelle nationale.
D’après les chiffres du IRCC, entre 2017 et 2022, plus de 21 500 immigrants qualifiés dans le domaine de la santé se sont installés au Canada.
Parmi eux, la moitié étaient des infirmiers et infirmières, tandis que les médecins représentaient un quart. (Fig. 1)
Fig 1 Data Source : “Le Canada annonce un nouveau volet d’immigration pour les travailleurs de la santé” , https://www.canada.ca
Ce chiffre ne fait qu’exacerber la crise. Pour le mettre en perspective, durant la même période, les mises à jour mensuelles du IRCC ont signalé l’arrivée d’environ 820 000 nouveaux immigrants qualifiés sur le marché du travail canadien. Cela signifie que le secteur de la santé n’a bénéficié que de 2,6 % de cette immigration. Une contribution bien modeste d’autant plus, quand on considère que le secteur de la santé, avec approximativement 2 250 000 employés, représente aujourd’hui 13% de la main d’œuvre totale du Canada, qui compte environ 17 000 000 de travailleurs. (Fig 2, Cliquez pour agrandir la photo)
Fig 2 Data Source : “Postes vacants, employés salariés et taux de postes vacants selon le secteur de l’industrie, données mensuelles désaisonnalisées”, https://www150.statcan.gc.ca/
Jusqu’en décembre 2019, le pourcentage d’emplois vacants dans le secteur de la santé restait en dessous de celui du marché du travail. Cependant, à partir de cette date, il s’est aligné sur le taux général. La pandémie de Covid a eu un effet significatif, provoquant une flambée du nombre de postes vacants, en grande partie due à une réduction de l’immigration.
Depuis lors, le marché du travail global a commencé à se rétablir de cette crise, montrant une diminution constante du taux de postes vacants depuis décembre 2021. À l’inverse, le secteur de la santé continue de montrer une augmentation de ce taux, atteignant un record de 6.3% en avril 2023 (Plus de 153,000 postes non occupés), selon les dernières données disponibles. Les prévisions futures sont malheureusement tout aussi préoccupantes. (Fig 3, Cliquez pour agrandir la photo)
Fig 3 Data Source : “Postes vacants, employés salariés et taux de postes vacants selon le secteur de l’industrie, données mensuelles désaisonnalisées”, https://www150.statcan.gc.ca/
Le Système de Projection des Professions au Canada (SPPC), une initiative du ministère du Travail, Emploi et Développement Social Canada (EDSC), a récemment présenté son rapport. Ce document prévoit l’équilibre entre l’offre et la demande d’emploi pour la décennie 2021-2031.
Selon ces projections, un déficit de 300 000 postes serait à anticiper, ces derniers n’étant pas compensés par les diplômés récents ni l’immigration – bien que cette dernière représente 30% de l’apport (soit 2,4 millions sur les 7,9 millions prévus pour combler les postes vacants). Si cela pourrait entraîner une baisse du taux de chômage, cela souligne aussi une pénurie structurelle dans plusieurs secteurs, le secteur de la santé étant l’un des plus vulnérables (Fig 4, Cliquez pour agrandir la photo)
Source : “Système de projection des professions au Canada (SPPC) ,Sommaire des résultats (2022-2031)”, https://occupations.esdc.gc.ca/
Un simple regard sur les secteurs ayant le plus grand besoin de main-d’œuvre au cours des 12 derniers mois souligne la gravité de la situation dans le domaine de la santé. Alors que certaines industries sont aux prises avec des pénuries transitoires ou cycliques, le secteur de la santé, lui, souffre majoritairement d’un déficit structurel et persistant. (Fig 5, Cliquez pour agrandir la photo)
Source : “Postes vacants, employés salariés et taux de postes vacants selon le secteur de l’industrie, données mensuelles désaisonnalisées”, https://www150.statcan.gc.ca/
Cette projection affecte 83 groupes professionnels couvrant l’ensemble du marché du travail. Le secteur de la santé à lui seul représente plus de 30% de ce total. De plus, plus de 90% des métiers de ce secteur ont été identifiés comme étant en déficit structurel constant à la fois pendant la période 2019-2021 et dans la projection pour 2021-2031. (Fig 6, Cliquez pour agrandir la photo)
Source : “Système de projection des professions au Canada (SPPC) ,Sommaire des résultats (2022-2031)”, https://occupations.esdc.gc.ca/
Une perspective intéressante quoique quelque peu surprenante est de constater le décalage entre la gravité de la situation dans le secteur de la santé et la perception des employeurs. Selon le rapport gouvernemental “Analyse des défis liés à la main-d’œuvre au Canada, deuxième trimestre de 2023”, publié le 22 juin 2023, la proportion d’entreprises du secteur de la santé qui prévoient que le recrutement et la rétention de travailleurs qualifiés seront des défis au cours des trois prochains mois est certes élevée, mais ne se situe pas en tête de liste, se classant plutôt en fin du premier quartile. Il est clair que les ministères impliqués abordent cette situation alarmante avec une vision plus pragmatique, se concentrant sur des mesures pour atténuer cette crise. (Fig 7, Cliquez pour agrandir la photo)
Source : Katarina Canaj, Shivani Sood et Chris Johnston” Analyse des défis liés à la main-d’œuvre au Canada, deuxième trimestre de 2023″, https://www150.statcan.gc.ca/
Les rondes d’invitation differentielles , mentionnées en premier chapitre ne sont pas les seules initiatives pour apporter des solutions à ce déficit :